"L'illimité est en nous"

17.3.10

De Enea a Phileas…

C’est une histoire un peu folle, c’est la notre.

Mi-décembre, nous sommes invités par les parents de Stéphanie à passer les fêtes en Suisse. Nous nous rendons Mindelo afin de laisser le bateau dans un mouillage sûr.

Les prix de la marina et « l’amabilité » du responsable nous dissuadent de leur confier Enea. Nous mouillons 50 m de chaîne par 5 m de fond avec deux ancres empenelées pour faire face au vent qui peut se lever dans la baie. Nous nous mettons tout près de la marina pour ne pas subir le clapot qui se lève quand le vent forcit.

Ca fait trois semaines que nous sommes sur place et tout tient très bien.

Nous pouvons partir tranquille.


Laurent, sur Azyadé, est mouillé a 30 m de nous et reste ici jusqu’à notre retour mi-janvier. Il jettera un œil et viendra à bord de temps à autre pour vérifier que tout va bien.

Il y a 1 an et demi que nous n’avons pas mis de chaussures et des achats sont indispensable pour que les enfants puissent affronter l’hiver suisse : visite des boutiques des chinois de Mindelo et achat de très belles baskets en plastiques (roses avec lumières, s’il vous plait !).

Notre arrivée à Genève est surréaliste.

Après les côtes françaises, espagnoles et Gibraltar - en hiver- puis les Canaries, six mois au Sénégal et trois au Cap-Vert, la période des Fêtes de fin d’année en Suisse nous ahurit.

Nous prenons conscience d’un décallage insoupçonné face à notre mode de vie actuel et celui qui était le notre avant de partir.

Au Sénégal et au Cap-Vert nous achetions ce que nous trouvions. S’il y a de la confiture, parfait, on est heureux et on en prend… quel que soit le parfum ! Nous avons toujours trouvé le nécéssaire, parfois dû rationner un peu les légumes frais après trois semaines sans faire de courses, mais rien ne nous a jamais manqué. Alors de se trouver dans des supermarchés aux rayons interminables c’est vraiment étrange : nous sommes complètement empruntés devant le choix qui s’offre à nous. Et plus encore surpris par le stress des acheteurs qui râlent parce qu’ils ne vont peut-être pas trouver telle ou telle marque de chocolat pour leur déssert…

Les fêtes de fin d’années accentuent encore l’impression.

Nous sommes très heureux de revoir la famille, les amis et les copains et nous réjouissons aussi de retrouver les mouillages et des villages tel que Nioumoune en Casamance.

De plus en plus la traversée de l’Atlantique, qui est prévue dès notre retour à Mindelo, nous appelle.

Cette orgie de consommation, plus que les autres années, nous sidère.

Nous sentons de manière très forte que nous n’en avons pas fini avec la vie à bord, les navigations, les rencontres et le dépouillement (par raport à la vie en occident).

Une semaine avant notre retour à bord, Laurent nous appelle pour nous annoncer le vol d’Enea.

C’est Stéphanie qui répond et prend la chose plutôt bien. Un vol, ca arrive, c’est embêtant mais il n’y a pas mort d’homme.

Très vite, elle comprend que se n’est pas un cambriolage mais bien la disparition de tout le bateau…

Laurent s’est couché vers minuit et à six heures du matin Enea n’était plus là.

Après avoir fait le tour de la baie avec son annexe pour vérifier qu’il n’a pas dérapé, ni qu’il s’est échoué, il donne l’alerte.

Enea ne peux pas être loin.

La police maritime enrgistre la plainte et ne peut pas faire plus que de signaler le vol dans les postes de l’archipel. Ils n’ont pas de vedette rapide et encore moins d’avion.

Deux jours après avoir diffusé l’avis de recherche sur le net, des messages de soutient et d’encouragement nous sont parvenus de tout le tour de l’Atlantique. Des côtes afriquaines et sud américaines.

Des messages d’amis, de rencontres brèves et denses et d’inconnus eux aussi en route.

Ca nous touche, profondémment.

Je me rends seul à Mindelo pour faire bouger les choses et déposer une plainte officielle. Je me rends vite compte que Laurent a été d’une efficacité redoutable.

Les affichettes sont partout, tous les bateaux partis de la baie ont reçu l’avis de vol et même la marine US qui patrouille dans le coin pour des histoires de drogue est avisée. Tous les naviguateurs arrivant à Mindelo sont interrogés.

Merci Laurent, ton aide et tes investiguations nous ont été précieuses.

Après que Laurent soit parti pour Dakar et que le responsable de la marina m’ai fait remarquer que ça société n’y est pour rien et que, n’ayant plus de bateau, je n’ai rien a faire sur ses pontons, je suis rentré en Suisse…

Enea était notre foyer, tout ce que nous avions.

En partant avec un billet aller simple, nous n’avions plus rien en Suisse. Plus de voiture, plus d’appartement et plus de travail.

Nous logeons chez les parents de Stephanie, à Genève. Nous sommes très bien. Nous avons deux chambres en duplex très spacieuses et ne manquons de rien. Les enfants profitent au maximum de leurs grand-parents.

Aussi bien que nous puissions être, nous sommes tout de même des squatters et il ne faut pas que la situation s’éternise.

Après trois semaines d’attente, Enea est retrouvé au Brésil. L’information ne nous est pas encore confirmée que les messages pleuvent !

Une stagière brésilienne, de l’atelier d’architecture dans lequel je travaillais, m’appelle pour me dire qu’ elle m’a préparé une liste de liens sur la presse locale et nationale brésilienne et qu’elle se propose de me les traduire.

C’est allucinant.

J’y vois des photos d’Enea couché sur le côté sur une plage magnifique à Tutoia.

Il y a du soleil, du sable blanc, des cocotiers… et plein de policiers.

Il n’y a pas de doute, c’est bien Enea et il n’a pas l’air d’avoir beaucoup souffert.

Notre assurance qui a mandaté MCS Germany, spécialisé dans la recherche de bateaux disparus, m’annonce qu’un expert est en route pour Fortaleza et me demande de le rejoindre dès que possible au Brésil.

A l’aéroport, Kai m’attend et m’emmène à l’hôtel où il me montre les photos qu’il a prises deux jours avant.

Je tombe de haut.

Si la coque semble avoir peu souffert, le safran est tout de même arraché, les voiles ont été découpées au cutter et ont toutes disparues et le compas a été arraché et emporté.

A l’interieur, c’est un ouragan qui est passé. Plus d’électronique, tableau éléctrique arraché, wc emporté, équipets et tiroirs éventrés et évidemment plus le moindre effet personnel.

Après la nuit de car et les trois heures de 4x4 pour me rendre sur place, s’est encore pire. Malgrés la suveillance mise en place, Enea a encore été visité et il n’y a vraiment plus rien à y récupérer.

Je suis sous le choc et suis incapable de prendre des photos. Je me sentais comme un voyeur, comme ces gents qui s’aglutinent sur le lieu d’un accident pour voir les blessés expirer.

Sans surprises, l’assurance déclare Enea en perte totale. Il nous est demandé 40000€ pour le sortir de là et les frais pour le remettre en état sont énormes. Bien plus que la valeur assurée.

De retour en Suisse, nous passons des heures sur internet, à la recherche d’un nouveau bateau. Il n’est pas question de se laisser voler notre rêve. Nous voulons repartir vite. Notre quotidien est fait d’école le matin et de recherche le reste de la journée.

L’impression d’être revenu deux ans en arrière.

Tout est a reprendre. Mais cette fois avec l’expérience. Et un cahier des charges plus précis d’une part, mais aussi moins restrictif puisque nous ne tenons pas absolument à trouver un voilier en métal : nous considérons même d’un bon œil les vieux tupperwares.

Sur un voilier, l’espace est limité. On ne peut embarquer que l’essentiel et nous pensions l’avoir.

En devant nous rééquiper, nous nous apercevons que nous avions encore bien trop de superflu et c’est la bonne surprise dans cette affaire.

Nous avions un tas de trucs inutiles et le vol d’Enea nous en fait prendre consience.

Nous allons repartir plus légers.

Après sélection, nous avons vu un monocoque alu de 13m en Italie qui s’est avèré ne pas être le nôtre. Les fonts sont encombrés de deux moteurs inboard et d’un gros groupe, mais les énergies renouvelables ne sont pas au rendez-vous. Tous les équipets sont pleins de tuyaux et de câbles, ceux de la clim des cabines et des deux chauffe eau entre autre.

Sans compter qu’envoyer les enfants dans leurs cabines, véritables caves sans lumière, aurait relevé de la véritable punition.

Retour en Suisse. (Non sans nous être fait piqué notre sac à Milan : question d’être encore plus légers !)

Deuxième visite.

Un Sun Fizz de 1981 au sec à Mortagne/Gironde en Charente maritime après avoir fait un tour du monde avec une famille.

C’est lui.

Quelques travaux cosmétiques à l’intérieur. La bôme, les plexis du roof et un peu d’accastillage à changer et nous repartons.

Pour l’heure, nous attendons un expert (surbooké pour cause de tempête),l’immatriculation de Phileas et nous commençons les travaux.

Mortagne est un superbe village sur la Gironde et se sera un plaisir de préparer Phileas dans ce cadre paisible.

Sur le port, nous avons rencontré le couple qui tient la crêperie (Marc et Françoise de Fanfan pour ceux qui les connaissent). Ils viennent de rouvrir l’établissement pour la saison. Ce sont des navigateurs qui ont laissé leur voilier au Brésil quelques jours plus tôt.

Nous n’en revenons pas quand nous nous rendons compte que le jour de leur départ pour la transat, depuis Mindelo, un « Laurent à cheveux long » leur a donné une affichette à placarder en face.

Le monde est décidément vraiment minuscule et Laurent diablement efficace !

Bon vent à vous tous

Et à bientôt, pour l’apéro sur Phileas !

3.2.10

Enea a été retrouvé!!!




Nous avons reçu ce matin (mercredi) la confirmation, que notre voilier, Enea a été retrouvé échoué sur la plage de Tutoïa au Brésil (entre Fortalezza et Belem)

Pour l'instant on n'en sait que ce qui a été dit dans la presse nationale brésilienne.

Pierre se rend sur place au plus vite, on vous tiendra au courant.
Merci pour tous vos messages, commentaires et e-mails!

Tout l'équipage d'Enea

PS: Toute la famille est saine et sauve, nous sommes en Suisse, et sommes impatients de reprendre le voyage!
A bientôt, sur les flots!